Le
Diable et le bon Dieu
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-" Pourquoi faire le mal ?" -" Tu prends beaucoup de
peine pour rien, fanfaron du vice ! |
Pièce de Jean Paul Sartre mise en scène pour la première fois au théâtre Antoine par Louis Jouvet, le 7 juin 1951. Ce sera la dernière adaptation de Louis Jouvet qui s'éteint la même année.
Pour les cinquante ans de la mort du comédien, Daniel Mesguich reprend la pièce au Théâtre de l'Athénée (ancien Théâtre Antoine) et signe une mise en scène à la foi fine, intelligente et drôle.
( Nos références renvoient à la pagination Folio Gallimard).
" Où as-tu appris qu'un général en campagne obéissait à un chef d'Etat "
L'action se déroule dans l'Allemagne de la Renaissance sur fond de misère paysanne et de rivalité seigneuriale. Goetz, chef de guerre sanguinaire, fils bâtard d'une mère noble et d'un paysan, a trahi son frère Conrad ( l'héritier légitime) et s'est allié avec l'Archevêque contre lequel Conrad guerroyait en échange de l'assurance de jouir des terres paternelles une fois Conrad défait. Mais Goetz échappe maintenant au contrôle de l'Archevêque et n'agit plus qu'en fonction de son appétit de cruauté : il assiège la riche cité de Worms, et s'apprête à la réduire en cendre. |
Un banquier et un porte-parole du peuple se succèdent pour le convaincre d'épargner la ville et ses hommes, mais seule la confusion d'Heinrich, un prêtre en proie à de douloureuses crises de conscience, éveille en Goetz l'envie de nouvelles normes de conduite.
" Dieu a voulu que le bien fût impossible sur terre " .
" On ne peut faire que le mal "( page 107). Heinrich est intimement persuadé que Dieu a voulu que le bien fût impossible sur terre. Il faut dire qu'Heinrich a été pris bien malgré lui au piège de l'action politique. En mourant sous les coups du petit peuple affamé par le siège, l'évêque de la ville assiégée a donné à Heinrich la clé d'un souterrain qui permet de pénétrer dans la ville ; il met ainsi Heinrich en demeure de choisir entre le massacre des prêtres par le peuple ou celui du peuple par les troupes de Goetz. ( " deux cents prêtres ou vingt mille hommes " … " ce pouvoir de décision[…] vient du Diable " page 52) |
Heinrich est le prêtre des pauvres : il a abandonné les privilèges ecclésiastiques pour vivre comme les plus miséreux ; pourtant il se sent étranger, rejeté par eux, (page 53) et ses paroles n'apportent plus l'espoir.
De plus, Heinrich ne pardonne pas au peuple de l'avoir renversé et foulé au pied lors de la prise de l'évêché. Il y a donc différentes interprétations possibles des mobiles qui le conduisent auprès de Goetz : ce qui est sûr c'est qu'il dit d'abord être venu pour demander au capitaine d'intervenir afin de sauver les prêtes en rétablissant le calme, mais il se rétracte maintenant : les visages des hommes de Goetz ne lui inspirent aucune confiance ; il craint de provoquer un massacre en espérant empêcher quelques meurtres. Toutefois au cours de l'entretien qu'il a en privé avec Goetz, il découvre à quel point celui-ci est seul et en guerre avec lui-même. " Je [Goetz] me fais horreur depuis quinze ans (page 61) "
Quand la soif de liberté dégénère en cruauté.
Une scène avec Catherine( sa maîtresse) livre l'une des clés du personnage de Goetz : enfant illégitime et méprisé quoique entretenu par la maison paternelle, il a vécu pendant vingt ans son devoir de gratitude comme une longue insulte à son propre génie. " un bâtard, il faut que ça baise la main qui le nourrit " | |
Faire le mal est pour Goetz décider de sa solitude et s'affranchir volontairement de tout espoir et donc de toute dépendance affective. Celui qui fait le mal est seul, mais cette solitude, il l'a choisie ! " Refuse ce monde qui ne veut pas de toi ! Fais le mal : tu verras comme on se sent léger " dit Goetz à Heinrich (page 57). | |
Plus loin quand Catherine lui demande ( page 66-69) " Pourquoi veux-tu toujours arracher ce qu'on t'accorderait peut-être de bonne grâce ? " il répond " Parce que j'ai trop reçu… (Page 66) " ce qui est à moi, c'est ce que je prends " |
En amour, Goezt refuse la réciprocité( page 85) " Si tu m'aimes, c'est toi qui auras tout le plaisir. Va-t'en… Je ne veux pas que l'on profite de moi " Répondre à la générosité par la trahison, c'est décider de soi. " Bâtard, je l'étais de naissance, mais le beau titre de fratricide, je ne le dois qu'à mes mérites ".
Toutefois le mal est monotone : "L'ennui avec le mal, c'est qu'on s'y habitue, il faut avoir du génie pour inventer ". Page 98
Faire le mal pour le mal et ainsi, provoquer Dieu …
Goetz revendique le mal comme sa seule raison d'être. Il fait le mal pour le mal (page 106) et est capable de le faire contre son propre intérêt ( financier, matériel). Faire le mal est pour lui manifester qu'il est au-dessus de tout gain, de tout calcul mesquin, de tout le prosaïsme de l'existence. Son engagement dans le mal l'élève au-dessus des hommes, et à plusieurs reprises c'est Dieu qu'il interpelle. Sa malfaisance est une révolte contre Dieu et la morale commune. | |
Mais plus fondamentalement, elle est vécue comme la seule façon pour l'homme de s'éprouver absolument puissant. La malfaisance volontaire provoque Dieu. Elle élève le scélérat à la hauteur du Créateur. Page 97 " Dieu m'entend, c'est à Dieu que je casse les oreilles… Il y a Dieu, moi et les fantômes. C'est Dieu que je crucifierai cette nuit [ en massacrant la ville] parce que sa souffrance est infinie et qu'elle rend infini celui qui le fait souffrir " | |
" Est-ce que tu ne comprends pas que le mal est ma raison d'être" (Page 61) lire absolument la page 105 :" Je suis l'homme qui met le Tout -Puissant mal à l'aise. En moi Dieu prend horreur de lui-même ! Quelque fois, j'imagine l'Enfer comme un désert qui n'attend que moi. " ""Pourquoi faire le mal ? Parce que le bien est déjà fait. Qui l'a fait ? Dieu, le Père. Moi, j'invente "( page 81) |
On comprend que tout ce raisonnement s'écroule quand Heinrich prouve à Goetz, par l'expérience, que le mal est légion ; il est facile à réaliser ; rien n'est plus commun et ordinaire que le mal… alors que le Bien, lui, est impossible à accomplir : le véritable défi à la puissance, c'est le bien !
Le bien, l'idéal impossible et le nouveau défi de Goetz
" Tu prends beaucoup de peine pour rien, fanfaron du vice ! Si tu veux mériter l'enfer, il suffit que tu restes dans ton lit. [ Vois] j'étais innocent et le crime a sauté sur moi comme un voleur. (page 108)... Dieu a voulu que le bien fût impossible sur terre. Tout le monde fait le mal … Et personne n'a jamais fait le bien ? Personne " | |
Mais Goetz veut croire à la toute puissance de son caprice comme de sa volonté : " Moi je te parie de le faire " [le bien]. Il veut parier avec Heinrich, mais celui-ci refuse : le prêtre voit ce pari comme un outrage au Bien. Goetz feint de s'en remettre au hasard. Il demande à Catherine de jouer avec lui sa conversion aux dés : s'il gagne, il rasera la ville. | |
Mais pour mieux se prouver qu'il est maître de ses choix, Goetz ne se fie pas à la chance ; il triche et perd volontairement pour se lancer un nouveau défi : désormais il sera un saint " C'est encore la meilleure manière d'être seul " Page 109 |
La conversion de Goetz
Goetz libère les prisonniers, commande la levée du siège et demande à Nasty, le délégué du peuple, de renter dans la ville pour annoncer la bonne nouvelle et calmer l'émeute qui menace les prêtres. Tout rentre dans l'ordre, Mais par là-même, Goetz se fait un ennemi mortel d'Heinrich : lui seul reste avec sa faute puisqu'il a, de fait, remis les clés de la ville aux mains de l'assaillant.
Le deuxième acte
Le deuxième acte montre Goetz isolé de tous : sa volonté de renoncer à son héritage et de rendre les terres aux paysans qui les cultivaient ne satisfait ni les barons ni Nasty . Le comportement de Goetz dérange jusqu'aux plus pauvres, ils ne savent que penser et perdent leur repère. Quant à Karl, l'ancien valet de son frère, il se sent humilier par le ton de bonté dont Goetz enrobe ces commandements : " Conrad était dur et brutal mais ses insultes m'offensaient moins que ta bonté " (page 115)
Vouloir le bien tout de suite, et parier sur sa contagion est-ce une naïveté coupable ?
L'entrevue entre Goetz et Nasty est l'occasion de confronter deux interprétations de l'action politique. Goetz veut établir dès maintenant le règne du bien, du moins d'abord sur " ses " dix mille arpents de terres qu'il convertit en Phalanstère ( en écho avec Fourrier). Dans " La cité du Soleil ", il éradiquera la haine par l'amour et par l'égalité des conditions. Il entend fonder la première communauté chrétienne avec la volonté qu'elle devienne un modèle et un exemple pour tous ( lire page 131). " Je livre la bataille du Bien et je prétends la gagner tout de suite et sans effusion de sang " page 119. |
Nasty lui reproche de ne pas voir les conséquences véritables de ce qu'il entreprend : la distribution des terres à ses paysans provoquera une révolte anarchique des autres et finalement une répression dans le sang " Si tu jettes aujourd'hui les paysans dans la bataille, je ne leur donne pas huit jours pour se faire massacrer. Ce que tu auras détruit en une semaine il faudra un demi-siècle, pour le reconstruire ". L'action collective, pour avoir une chance d'être efficace, nécessite certaines précautions. Nasty demande sept ans pour coordonner les mouvements de révolte, discipliner les paysans et les former à la bataille rangée. Il propose à Goetz de garder l'administration de ses terres mais d'en faire un camp d'entraînement et de rassemblement pour organiser la révolte. " On sert le bien comme un soldat, Goetz et quel est le soldat qui gagne une guerre à lui tout seul ? ". Page 124
Mais la proposition de Nasty ne séduit pas Goetz ; elle remet à demain le règne du Bien. Or qui peut affirmer qu'après sept ans de patience d'autres années ne seront pas alléguées comme nécessaires ?: " Charlatan, les feras-tu patienter jusqu'au jour du jugement dernier ? Moi je dis que le bien est possible tous les jours, à toute heure, en ce moment même.
" De plus la solution de Nasty passe par les armes alors que Goetz entend vaincre l'iniquité par la seule force de l'amour. " Je suis malade du bien, je veux que cette maladie soit contagieuse " page 125.
Le Mal d'amour
Dans la suite de l'acte II, Heinrich vient rappeler à Goetz que sa conversion au bien a jeté Catherine dans le désespoir. Elle se meurt : " sa maladie mortelle c'est toi " (page 145) | |
" En la souillant tu lui as donné beaucoup plus que tu ne possédais toi-même : l'amour. Le fait est qu'elle t'aimait, je ne sais pourquoi. Et puis un beau jour, la grâce t'a touché alors tu as mis une bourse dans la main de Catherine et tu l'as chassée. Elle en meurt " | |
Heinrich ironise sur la situation : Goetz tente de faire le bonheur de milliers d'âmes, mais il désole la seule qui espérait tout de lui. " Si tu l'avais gardé [ Catherine] tu la sauvais et peut-être toi avec. Mais quoi ? Sauver une âme, une seule ? Un Goetz peut-il s'abaisser à cela ? On avait de plus grands projets. " |
Tromper le peuple "pour son "… Quand le bien pactise avec le mensonge
Croisant Nasty, Heinrich lui propose d'enrayer la révolte en prenant les pauvres au piège de leur piété. Il donnera l'ordre à tous les prêtres de quitter leur paroisse en grand secret. Le peuple n'osera pas se battre s'il croit devoir mourir sans être confessé (page 149). Nasty accepte la supercherie pour éviter le carnage mais enrage de devoir pactiser avec la superstition.
Le troisième acte : les conditions de l'action politique.
Il s'ouvre sur la cité du Soleil, haut lieu de générosité, de piété et d'embrigadement intellectuel…Toute la pièce est hantée par la réflexion sur les conditions de l'action politique. Peut-on mener les hommes à l'action autrement que par le mensonge ou la crainte ?
Le mensonge comme arme politique
Tour à tour Nasty, Heinrich, Karl et Goetz mentent au peuple. Et chaque
fois ils prétendent que ce c'est pour son bien qu'ils lui mentent... |
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Lorsque Nasty affirme au peuple que les greniers de l'évêque
regorgent de blé, ce n'est pas effectivement vrai, (ce qui permet de porter
ensuite la révolte jusqu'au couvent des Minimes) mais, selon lui, ce n'est
pas non plus faux. Nasty joue sur les double-sens : l'Eglise du Moyen Âge
vit de taxes et prélèvements : " Tous ceux qui sont morts de faim au pied des Christ de marbre et de ses vierges d'ivoire, je dis qu'il [l'évêque] les a fait mourir ". |
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Lorsqu'il parle au peuple, Nasty prend soin d'emprunter le discours des prêtres Il évoque la "Rédemption" mais c'est le salut par les armes qu'il prêche : " Il faut tuer pour gagner le ciel " (page 32) Nasty n'attend pas d'autre aide que celle des hommes et des circonstances. " Ne levez pas les yeux, le ciel est vide. Les anges sont au travail sur terre ; ils s'acharnent sur le camp ennemi …l'ange du Choléra celui de la peste, de la faim et de la discorde " (page 32) |
En revanche, Karl et Goetz pactiseront avec la superstition pour asseoir leur autorité morale.
Le règne des faux prophètes. " Régner c'est faire croire ! "
Désespéré, devant le refus d'Heinrich de confesser Catherine, Goetz se perce les deux mains et le flanc pour feindre les stigmates divins. Goetz manipule les symboles pour rassurer la foule " Tant que le sang du Christ sur ces mains coulera, aucun malheur ne vous arrivera." (page 173)
Karl va plus loin dans la supercherie ; il emprunte aux bateleurs des tours de magie pour impressionner les foules (page 203) et n'hésite pas à feindre une voix surhumaine pour prétendre que Dieu s'exprime par sa bouche. Il prêche la haine et la révolte (sans que l'on puisse savoir s'il le fait pour le peuple ou s'il est à la solde des seigneurs cf. page 116) " Ces terres sont à vous ; celui qui prétend vous les donner vous dupe, car il donne ce qui n'est pas à lui. Prenez-les ! Prenez et tuez si vous voulez devenir des hommes. C'est par la violence que nous nous éduquerons …Vous étiez des bêtes et la haine vous a transformé en homme ; si on vous l'ôte, vous retomberez à quatre pattes et vous retrouverez le malheur muet des bêtes " (page 207).
Par la suite Nasty acceptera de pactiser avec la superstition : il accepte d'abord la machination proposée par Heinrich ; puis, quand la révolte éclate malgré tout, et que les massacres provoquent bientôt des désertions massives dans les troupes de paysans, il accepte qu'une sorcière frotte tous les hommes d'une main en bois en prétendant les rendre ainsi invulnérables ; Karl justifie cette simagrée :" L'armée perd ses soldats comme un blessé son sang. Il faut arrêter l'hémorragie. Et nous n'avons pas le droit d'être délicat sur les moyens " (page 243) Nasty avoue à Goetz " Moi qui hais le mensonge, je mens à mes frères pour leur donner le courage de se faire tuer dans une guerre que je hais " (page 249).
Le sale métier de capitaine de guerre
Le retour de Goetz à sa condition de guerrier donne l'occasion à Sartre de souligner combien le statut de commandant en temps de guerre est un sale métier. Acte III, septième tableau, scène V, Nasty vient trouver Goetz en son phalanstère pour lui demander de prendre le commandement des troupes de paysans rebelles " Tu es le meilleur capitaine d'Allemagne… Si nous gagnons une bataille, une seule, les barons nous offriront la paix " Page 193 |
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Goetz rappelle qu'il
n'y a pas d'armée victorieuse sans discipline de fer, ce qui signifie
des pendaisons et des liquidations sommaires pour l'exemple. Goetz avoue
aussi que les paysans n'ayant ni armes ni habilité au combat, il faudra
jouer sur la force du nombre : "Il faudra gaspiller des vies " (page 194). |
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Quand Goetz, revenu de ses espoirs d'action pacifiste, accepte finalement le poste de capitaine (page 251),c'est par un premier meurtre qu'il assied son autorité. Il met en place la loi martiale qui condamne à la pendaison tous les déserteurs et menace ses chefs de camp de morts si ses ordres ne sont pas parfaitement exécutés " Nous serons sûrs de la victoire quand vos hommes auront plus peur de moi que de l'ennemi " |
La tragédie du bien
Cette pièce est la tragédie du bien. Le bien n'existe que comme horizon fantasmatique, il est ce qui n'est pas : le bien est ce qu'espère le pauvre, Il est aussi ce que récuse et refuse le méchant. Mais le "méchant ne soupçonne pas qu'il ne suffirait pas de vouloir le bien pour le réaliser.
Le méchant, en effet, nourrit une illusion sur le bien. A force de le refuser il peut croire qu'il suffirait de le vouloir pour qu'il soit :" Comme il semblait proche le Bien quand j'étais malfaisant. Il n'y avait qu'à tendre les bras, je les ai tendus et il s'est changé en courant d'air ". Le bien est impossible dans ce monde et le moindre mal est toujours un mal flagrant. " Sur cette terre et dans ce temps, le Bien et le Mauvais sont inséparables "
Dans Lucrèce Borgia, Victor Hugo soulignait la même intuition dans une réplique de Gubetta, l'homme de main de Lucrèce. " Une bonne action est bien plus difficile à faire qu'une mauvaise ". (page 41 ; collection Répliques chez Babel)
L'aporie de l'action politique
Sartre semble avoir construit son texte pour souligner l'aporie de la condition politique : " Le monde est iniquité, si tu l'acceptes, tu es complice ; si tu le changes, tu es bourreau..." (Page 108 | |
Seule la pierre est innocente ; exister c'est être malgré soi engagé. Tout homme, par la simple place qu'il occupe dans la société, est un pion dans l'échiquier politique ; il appartient tacitement à un camp et faute d'engagement spécifique contraire, il est solidaire et complice des événements. Sartre ne se contente pas de prêcher l'engagement. Il en avoue les écueils. | |
Il est plus facile d'aimer les déshérités que d'agir pour améliorer leur sort en respectant les règles de la morale et celles de la vérité. D'où les tentations récurrentes d'abstentionnisme ( celui d'Heinrich, auquels Karl reproche :" Tu es avec nous quand on nous assassine et contre nous quand nous osons nous défendre ", : (page 35), puis Goetz, fin Acte II et début acte III, et finalement Hilda…. |
Peut-on mener une action collective autrement que par la crainte ou le mensonge ? La cité du Soleil fonctionnait sur l'endoctrinement ; ce bonheur de troupeau docile révolte Hilda. (page 189), mais l'action armée a aussi ses horreurs: " Je leur ferai horreur puisque je n'ai pas d'autre manière de les aimer "(page 252 )
Goetz sera un chef sanglant pour ces propres troupes mais il mènera les paysans à la victoire et participera ainsi à une action historique par laquelle un homme dépasse les simples limites de sa personnalité. " S'aimer, c'est haïr le même ennemi. " page 245.
Ne peut-on espérer construire d'autres types de coalition ? L'unité d'un groupe passe-t-elle seulement par la diabolisation d'un ennemi ?
Le Diable et le Bon Dieu est aussi une pièce sur la solitude des chefs.
La solitude du commandement.
Déjà, page 195, Hilda se plaignait que son intimité avec Goetz ait modifié sa place sur l'échiquier politique " Tu m'as fait passer de l'autre coté de la barrière : j'étais avec ceux qui souffrent ; maintenant je suis avec ceux qui décident des souffrances ". Les chefs ont l'avantage sur la masse de décider des mensonges et des lois ; s'il est moins sûr qu'ils décident des mouvements de révolte et des crises, du moins disposent-ils de moyens d'actions lors des événements (tandis que la masse subit toujours). Toutefois ce pouvoir est aussi le lieu de leur responsabilité. Or le bien échappe et les intentions les plus louables tournent à la catastrophes quand elles sont rattrapées par l'écheveau infiniment complexe des circonstances. Le phalanstère qui devait être un modèle d'amour pour tous a été détruit par la haine des paysans voisins. On se souviendra aussi du désarroi de l'Archevêque au début de la pièce : malgré lui la situation lui échappait.