Que se passe-t-il concrètement dans notre cerveau dans le moment privilégié de la prière, et particulièrement quand des croyants ont l'impression d'entrer en contact avec le divin ?
Sainte Monique |
Cette question audacieuse est au coeur d'une nouvelle branche des neurosciences, la neurothéologie. Depuis une trentaine d'années, des scientifiques "traquent" Dieu dans le cerveau. Deux chercheurs de l'Université de Pennsylvanie ont mis au point un procédé qui permet de visualiser les régions du cerveau impliquées dans l'expérience mystique. Le docteur Eugène d'Aquili, anthropologue des religions et son collaborateur le docteur Andrew Newberg, neurophysiologiste ont fait passer des IRM à des moines bouddhistes en pleine prière. Ils ont filmé avec des caméras à positons (un appareil ultra sophistiqué d'imagerie cérébrale) les zones qui s'activent durant la prière. Les cobayes avaient accepté de tirer sur une cordelette (libérant un traceur radioactif dans leurs veines) dès qu'ils pensaient avoir atteint le sommet de leur recueillement afin que les chercheurs puissent enregistrer les bouleversements qui se produisent à ce moment précis dans le cerveau. Les mêmes tests ont été effectués sur des volontaires d'autres obédiences religieuses (notamment une franciscaine). A chaque fois, quelle que soit la religion, les faisceaux de neurones situés dans le lobe parietal supérieur, (vers le haut et l'arrière du cerveau) s'éteignent. Or ce sont des neurones connus pour traiter les informations sur l'espace et le temps. Si l'influx sensoriel n'accède plus à cette zone, le cerveau ne peut que se percevoir comme un tout sans fin, lié à toute chose. Or le sentiment de se libérer des limites de son identité pour se perdre dans plus grand que soi est le dénominateur commun aux expériences mystiques. Ecoutons quelques témoignages recensés par Patrick Jean-Baptiste dans La Biologie de Dieu, comment les sciences du cerveau expliquent la religion et la foi : " Les frontières autour de moi se dissolvaient, je me sentais profondément relié à tout " ; " J'ai ressenti un sentiment de communion, une paix, une ouverture, la sensation d'être tantôt centré dans le silence et le vide absolu, tantôt rempli par le présence de Dieu comme s'il infiltrait tout mon être. "
Pour obtenir un tel résultat deux voies sont possibles. Elles furent de longue date répertoriées et mises en oeuvre dans les exercices spirituels des différentes institutions religieuses : la voix positive consiste à concentrer toute son attention sur un objet chargé affectivement ( un tableau pieux , une amulette bénie ou même une image mentale comme les feux de l'enfer, le martyre d'un saint ou les joies du paradis, etc.) La seconde voix, négative, exige de ne plus penser à rien, de s'abstraire de toute préoccupation particulière. Chacune de ces activités mentales perturbe le fonctionnement normal du cerveau en le déconnectant de la réalité extérieure jusqu'à ce qu'il entre, via des engrenages compliqués, dans un état second.
Nous reproduisons un extrait de l'article d' Anna Alter dans le magazine Marianne du 18 août 2003 consacré à la sortie du livre de Patrick Jean-Baptiste , La Biologie de Dieu, éd. Noesis
" En concentrant son attention sur un objet affectivement chargé [...] le méditant reçoit sur son lobe pariétal droit des messages qui lui parviennent de l'extérieur par les aires visuelles[...] Les images réelles en réveillant les images gravées dans la mémoire augmentent directement l'activité de l' hippocampe droit qui, par le biais de ses connexions inhibitrices débranche progressivement le lobe pariétal droit tout en stimulant les noyaux de l'hypothalamus qui contrôlent à distance le coeur et les poumons, s'ensuit une perte d'orientation qui se traduit par une impression d'espace infini et s'accompagne d'un ralentissement du rythme cardiaque et de la respiration. Si la méditation est efficace, tous les équilibres neurophysiologiques finissent par rompre d'un coup, brutalement. Le lobe gauche, chargé de maintenir la coupure entre soi et les autres, disjoncte à son tour. Le sujet atteint alors une quiétude béate, l'extase absolue, le nirvana. Il tombe dans l'E.A.U (abréviation de "l'Etre Absolu Unitaire") disent les neurophysiologistes.
La "Via negativa" donne à peu près le même
résultat : [...]Une inattention volontaire [...]implique une modification
profonde de l'aire d'attention associative droite, laquelle par des réactions
en cascade, agit sur le lobe pariétal droit, dont les neurones, privés
des informations habituelles, adoptent leur tempo, se désynchronisent,
court-circuitent le lobe gauche et déclenchent le grand flash..."
Patrick Jean-Baptiste souligne que la recherche d'une explication biologique aux phénomèmes religieux ne diffère en rien des travaux visant à comprendre ce qui déclenche l'acte d'achat dans le cerveau du consommateur ou ce qui produit le rêve (au-delà de l'interprétation freudienne).
Les chercheurs, prudents, disent qu '"il n'y a 'aucun moyen pour déterminer si les modifications neurologiques associées à l'expérience spirituelle signifient que c'est le cerveau qui provoque ces expériences ou si, au contraire, il perçoit une réalité spirituelle". Dieu, dans son infini bienveillance, a-t-il fabriqué le cerveau de sa créature en prenant soin d'y placer une antenne qui lui permette de communiquer avec ses fidèles, ou bien faut-il penser la spiritualité comme un dysfonctionnement du cerveau étroitement lié à la capacité d'abstraction : la capacité à se déconnecter de la diversité des informations extérieures ? Les savants pour l'heure ne répondent pas. Au Canada toutefois le psychiatre, Mickael Persinger, a mis au point un casque, l'Octopus qui stimule magnétiquement la boite crânienne, l'objectif étant de provoquer artificiellement une altération de la conscience proche de l'extase mystique. Les résultats sont, pour l'heure, mitigés : certains confessent "se sentir touchés par Dieu", d'autres sentent une oppression fort désagréable et d'autres, rien...
La Madeleine
à la veilleuse La Tour 1593-1652 |
Il est sûr en revanche que l'ascèse, la mortification du corps, les chants (inventions typiquement humaine) renforcent le phénomène neurobiologique de l'extase ainsi que la contemplation de figures géométriques simples qui n'existent pas dans la nature : les rayons de la roue des Hindous, l'étoile de David et la croix stimulent les neurones avec une intensité tout à fait inhabituelle.
Par ailleurs, en se fondant sur des descriptions données par les Evangiles, le Coran, et les livres d'histoire, des neuropsychiatres ont diagnostiqué des cas d'épilepsie du lobe temporal droit notamment chez saint Paul, Mahomet, Bouddha, Jeanne d'Arc, sainte Thérèse d'Avila et sainte Thérèse de Lisieux ainsi que chez le philosophe Emmanuel Swedenborg. A chaque fois, en phase aiguë de la pathologie, l'individu entend des voix et est sujet à des hallucinations lumineuses... Quand cette pathologie surgit dans un cerveau éduqué dans la religion, ces impressions physiologiques peuvent être interprétées et vécues comme des expériences mystiques et donner lieux à des conversions ou actions retentissantes, que l'on pense à saint Paul sur le chemin de Damas ou à Jeanne, réfugiée à Neufchâteau après la mort de sa soeur.