Bibliothèques 10/18
Gilles de Rais (1404-1440) est un personnage qui fascine et terrifie. Tout en lui est démesure : ces dépenses somptueuses comme sa furie au combat et bien sûr la scélératesse de ses crimes pédérastes
Georges Bataille voit en Gilles de Rais la figure exemplaire d’une époque de la féodalité où la raison balbutiante n’avait pas encore muselé la fête archaïque de la violence.
Très vite dans les campagnes de Bretagne, du côté des châteaux de Tiffauges, de Champtocé ou de Machecoul où avait résidé le sire de Rais, sa figure se confondit avec celle de Barbe bleue comme si le monde fabuleux des légendes était seul capable de comprendre l’excès des crimes de Gilles de Rais. Cet amalgame est d’autant plus remarquable qu’il n’y a aucune analogie entre la légende populaire du comte aux sept femmes et l’histoire de Gilles de Rais qui ne se maria qu’une fois et montra bien plutôt son goût pour les jeunes garçons. Mais tout se passa « comme si une histoire si excessive n’avait pu avoir de héros qu’un monstre, un être sorti de l’humanité commune »
Gilles de Rais, comme l’ogre des contes, fascine et terrifie à la fois. Pour G. Bataille cet attrait est celui qui nourrit nos cauchemars. Nous portons en nous un attrait pour le mal dès la tendre enfance (page 19).
Dans les actes du procès on voit tour à tour Gilles de Rais insulter le juge, ou s’effondrer en larme devant l’aveu de ses crimes.
Tout ce passe comme si Gilles de Rais n’avait jamais atteint « l’âge de raison » celui de la prudence et des compromis. Chez lui tout n’est que jeux, désordre et excès d’énergie.
Gilles de Rais fut donc un chef de guerre furieux dans le combat, et sans mesure dans les pillages qui lui faisaient suite. Et c’est cette démesure guerrière qui le fit d’ailleurs reconnaître de la Pucelle d’Orléans
Or au milieu de XVè siècle, ces qualités de démesure dans le combat ne sont plus d’actualité. Page 58. Une évolution comparable était déjà apparue en Grèce aux alentours du VII siècle avant J –C.
Les modalités de la guerre changent, elle devient plus technique, les archers se déploient, et la course des bandes armées prend le pas sur les combats prestigieux entre cavaliers. Une discipline nouvelle s’impose comme moyen d’efficacité collective. La tactique de guerre pactise désormais essentiellement avec les ressorts de la réflexion. La fureur glorieuse du Sire de Rais ne trouve plus sa place dans les armées. Or il y a contracté le goût du sang, des exactions et de la démesure dans le crime comme dans le triomphe. G. Bataille conclut que La tragédie de Gilles de Rais est celle de la féodalité, c’est la tragédie de la noblesse. Les crimes de Gilles de Rais sont ceux du monde où il les commit : un monde qui avait longtemps laissé libre cours aux déchaînements de la violence des puissants et qui, peu à peu seulement, appris à se régler sur d’autres codes de valeurs.
Cette évolution est perceptible dans la langue puisque derrière le même terme de « preux chevalier » ce ne sont plus du tout les mêmes valeurs qui sont prisées entre le Xème et le XVIème siècle.
Pour comprendre cette époque il faut garder à l’esprit la distorsion extrême de condition et de pouvoir entre Seigneur et serfs. Gille de Rais était un féodal puissant, les petits mendiants qu’il égorgeait ne comptaient pas beaucoup plus que des chevreaux ni à ses yeux ni à ceux de ces pairs.
De peur des représailles, les parents des victimes n’osaient parler. Il régnait dans les campagnes une forme de<« terreur silencieuse » que la plume de G. Bataille se plait à décrire « ces forteresses en ruine qui attirent aujourd’hui les touristes, étaient alors de monstrueuses prisons et leurs murailles évoquaient les supplices dont elles étouffaient les cris » page 12. Michel Tournier dans Gilles et Jeanne incrimine aussi l’imprudence des familles qui continuaient à envoyer les enfants mendier au château en dépit des rumeurs.
La cause objective du procès
N’ayant plus d’appui du côté de ses proches puisqu’il avait par ses folles dépenses gaspillé tout leur héritage, Gille de Rais fut arrêté et conduit à la prison de Nantes où une enquête sur les meurtres d’enfant avait été lancée. La chute du Sire de Rais déliait enfin les langues. Mais sans l’affaire de Saint-Etienne, on peut douter que la justice se soit émue des « petits crève-la faim qu’un si grand seigneur égorgeait »
D’ailleurs un siècle plus tard, en Hongrie, Erszsebeth Bathory une grande dame, tuait ses servantes sans plus d’embarras. Elle ne fut inquiétée que lorsqu’elle s’attaqua à des filles de la petite noblesse, ce qui est un exemple flagrant de justice partisane. Mais l’intérêt historique de ces figures est ailleurs.
. « Sa noblesse a le sens d’une violence ne regardant rien et devant laquelle il n’est rien qui ne cède » page 55